Les maoïstes au pouvoir pour changer le Népal
Les anciens rebelles maoïstes du Népal sont sortis gagnants de l’élection d’une Assemblée constituante censée transformer la monarchie népalaise en république
L’étoile rouge est en passe de s’imposer dans le pays aux neiges éternelles, soumis, durant des siècles, à d’autocratiques dynasties royales.
Car le CPN-M (Parti communiste du Népal-maoïste), à peine sorti d’une guérilla qui a fait rage de 1996 à 2006 et coûté la vie à 13 000 personnes, s’annonce en excellente position pour devenir la première force politique du Népal. Contre toute attente, les maoïstes sont en train de réussir par les urnes ce qu’ils n’avaient pas réussi à faire par les armes.
Les premiers dépouillements du scrutin de jeudi, où 17,5 millions d’électeurs avaient été appelés à élire une Assemblée constituante, indiquent ainsi une victoire maoïste pour près de la moitié des 213 sièges attribués ou en cours d’attribution. L’Assemblée élue, qui comptera 601 députés, aura la charge d’installer une république fédérale, d’écrire une Constitution et d’abolir la monarchie.
La reconversion politique du leader maoïste Prachanda – alias « Le Terrible » – est spectaculaire. Le virage a débuté en 2006, sous l’impulsion de protestations populaires visant à contrer le roi Gyanendra. Les maoïstes avaient alors conclu une alliance avec les partis politiques et déposé les armes. Ils s’étaient engagés dans un processus de paix dont les élections de jeudi constituaient l’étape cruciale.
Élu haut la main dans sa circonscription de Katmandou, Prachanda tente désormais de rassurer sur ses bonnes intentions. Lui qui prônait les tactiques de guérilla populaire inspirées de Mao Zedong ou du Sentier lumineux s’applique désormais à adoucir son image aux yeux de la communauté internationale, en particulier l’Inde et les États-Unis, ces derniers ayant inscrit son parti sur la liste des « groupes terroristes ». Washington, qui avait mili tairement soutenu le palais royal contre les rebelles, aura certes du mal à s’accommoder de ce succès électoral. Même chose du côté de New Delhi, accaparé à contrer dans ses campagnes une insurrection maoïste tenace. Mais Prachanda répète qu’il accepte « le mode capitaliste de production » , et promet même de transformer le Népal en « une Suisse de l’Asie »… « La mission que nous a donnée le peuple est de conduire le pays vers la paix » , a-t-il déclaré, tout en prenant soin d’ôter de son discours les emphases de la rhétorique maoïste. Surtout, il a annoncé son engagement « vis-à-vis de la démocratie multipartite» , laissant envisager la possibilité d’une coalition avec les autres grandes formations telles que le puissant Congrès et le Parti communiste du Népal (marxiste-léniniste unifié) qui, eux, cumulent de cuisantes défaites.
L’efficace mécanique de la propagande des maoïstes a certes joué en leur faveur. Mais la justesse de leurs arguments n’a pas échappé aux électeurs, en particulier la dénonciation de l’inefficacité des partis traditionnels. Les maoïstes se sont présentés comme étant les seuls à pouvoir apporter des changements dans un pays pauvre figé par son système de castes. Preuve de leur détermination à transformer le Népal, ils exigeaient déjà inconditionnellement le fédéralisme, l’abolition de la monarchie, ainsi que la représentation d’ethnies minoritaires et de communautés défavorisées. A certainement aussi joué « le désir des électeurs de ne pas voir les maoïstes retourner dans le maquis » , comme le suggère Kanak Manik Dixit, rédacteur du magazine Himal .
Et dans le petit État himalayen, il est clair que le maoïsme s’est réinventé.
Vanessa DOUGNAC, "la Croix" du 16 avril 2008