Europe : 65h de travail par semaine, ce sera possible !

Publié le par Jihad WACHILL

Alors que se prépare dans notre pays la journée d’action du 17 juin pour la défense des retraites et pour les 35 heures, l’Union Européenne, en raison d’un revirement de la France, lance un signal très négatif en matière de durée du travail.

Grâce à Nicolas Sarkozy et à son gouvernement, l’Union européenne vient d’ouvrir la perspective d’une semaine de travail de 78 heures ! Le crime a été signé hier à l’aube, à Bruxelles, au terme d’une réunion des ministres de l’Emploi des 27 pays membres.

La révision sur la directive européenne sur le temps de travail était en chantier depuis plusieurs années. Selon le texte adopté hier à la majorité qualifiée, la semaine de 48 heures, inscrite dans la législation européenne en vigueur jusqu’ici, reste de mise. Mais il en va de cette règle comme de celle des 35 heures dans le projet de loi du gouvernement français : c’est un garde-fou de plus en plus fictif. L’accord prévoit en effet la possibilité de déroger aux 48 heures, par voie d’accord de gré à gré entre le salarié et l’employeur.

Sous la seule réserve que cette option soit prévue dans la convention collective, dans un accord entre « partenaires sociaux » ou dans la législation nationale, la durée maximale hebdomadaire de travail pourra désormais atteindre 60 heures. Voire 65 heures, précise le texte, si une part du temps de travail est du temps de garde. Et cette limite pourra aussi être outrepassée si une convention collective le permet.

Un accord inacceptable

Ce système de dérogation, dit « opt-out », était jusqu’à présent en vigueur au Royaume-Uni, paradis européen de la déréglementation sociale, où la semaine de boulot peut atteindre les 78 heures, l’unique règle s’imposant en dernière instance étant celle des 11 heures de repos quotidiennes obligatoires. Sous la pression des Britanniques, la législation européenne avait intégré l’opt-out, mais pour une période transitoire, au terme de laquelle il devait pouvoir être supprimé. L’accord conclu hier fait sauter toute limite de temps : « l’opt-out est pérennisé ad vitam eternam et peut désormais être généralisé », note Guy Juquel, du secteur Europe de la CGT. Le gouvernement de Londres, qui bataillait ferme pour en arriver là, avec son homologue irlandais et l’appui de la Pologne, a immédiatement exprimé sa satisfaction, parlant d’un « bon accord ».

À l’inverse, la Confédération européenne des syndicats (CES), qui avait mis en garde contre l’adoption de ces dispositions au motif qu’elles ne protègent pas « les travailleurs contre les dangers de santé et de sécurité induits par de longues heures de travail », a qualifié l’accord de « très insatisfaisant et inacceptable ».

D’autant que la « régression » dénoncée par les syndicalistes ne s’arrête pas là. Le texte paraphé à Bruxelles introduit en outre, pour la première fois, la notion de « périodes de garde inactives », qui ne pourront plus être comptabilisées comme du temps de travail. Cette disposition touche tout, particulièrement les professions médicales. Elle balaye d’un trait de plume deux arrêts de la Cour de justice européenne stipulant que le temps de garde doit être intégralement calculé comme du temps de travail. Lundi, l’association des médecins urgentistes de France (AMUF) avait, une énième fois, averti : l’adoption d’une telle mesure constituerait « un recul sans précédent, inacceptable tant pour les médecins que pour les patients ».

Pour faire bon poids, dans le but évident de mieux faire passer ces deux grosses pilules amères, le Conseil des ministres de l’Emploi a adopté, dans le même texte, un accord concernant les intérimaires et prévoyant que, dès le premier jour de travail, ils bénéficient du même traitement (salaire, protection sociale, etc.) que les salariés permanents. Un progrès réel, salué comme tel par la CES qui, cependant, a refusé qu’il soit « utilisé comme une raison ou une excuse » pour adopter la directive sur le temps de travail.

Véritable incitation à la déréglementation, à l’alignement, non sur la meilleure, mais sur la pire des situations en Europe, du point de vue des salariés, en matière de temps travail, ce texte n’a pas fait l’unanimité des 27. Cinq pays (l’Espagne, la Belgique, la Grèce, la Hongrie et Chypre) se sont abstenus lors du vote, critiquant vivement l’opt-out sans limite de temps, à l’image de la représentante espagnole qui a parlé d’une « marche arrière ». « Ce n’est pas une avancée sociale », confirmait de son côté la ministre belge, Joëlle Milquet. Jusqu’à la réunion d’hier, la France faisait cause commune avec ces pays, permettant de bloquer l’offensive britannique pour la généralisation de l’opt-out. Mais depuis l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, la position française dans ce dossier a basculé, en droite ligne avec la politique du « travailler plus » qui débouche actuellement sur le projet de loi mettant en pièces les 35 heures. Il faut toute la mauvaise foi du ministre du Travail, Xavier Bertrand, pour oser prétendre, à propos de l’accord de Bruxelles, que « l’heure est clairement à la relance de l’Europe sociale ». Lundi, le ministre avait tenté de rassurer en affirmant que l’opt-out « n’est pas pour la France », où les conventions collectives priment. La vigilance n’en est pas moins de mise.

Et il reste que la France vient de se distinguer en vidant un peu plus de son contenu une Europe sociale déjà réduite à une très faible expression, en faisant de la semaine des 60 heures (et plus) la référence européenne. De très mauvais augure pour la présidence française de l’UE qui démarre le 1er juillet. Les regards se tournent maintenant vers le Parlement européen qui doit être saisi de l’accord, et qui, jusqu’alors, s’est opposé à la pérennisation de l’opt-out.

Yves HOUSSON
dans l’Humanité du 11 juin 2008

Publié dans Europe - UE

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