Le RSA, une trappe à temps partiel

Publié le par Jihad WACHILL

Chômage : Présenté aujourd’hui en Conseil des ministres, le revenu de solidarité active, censé réduire la pauvreté, apporte un gain financier limité. Décryptage.

Le battage publicitaire autour du RSA, la polémique focalisée sur son financement, l’étiquette « Emmaüs » de son inventeur Martin Hirsch ont fini par occulter la question essentielle : le RSA est-il un « vrai » instrument de lutte contre la pauvreté ? À y regarder de plus près, calculette à la main, le « miracle » entre un « avant » et un « après » RSA vanté par le gouvernement s’apparente à un coup d’esbroufe, assorti de nombreux effets pervers.

Une culpabilisation des chômeurs

N’en déplaise à M. Hirsch, le RSA stigmatise une nouvelle fois les chômeurs. Le principe du dispositif est d’apporter une aide aux allocataires du RMI qui reprennent un emploi à temps partiel, pour les « inciter » à travailler. Implicitement, le chômage est présenté comme un choix volontaire de la part des chômeurs, et non comme la conséquence d’une pénurie d’emplois.

Dans la même logique, les pauvres « non méritants » n’ont droit à rien puisque les montants du RMI et de l’API « de base » (448 euros) ne sont pas revalorisés. « Nous ne mettrons pas un centime vers l’inactivité », martèle le haut-commissaire aux Solidarités actives. Certains allocataires pourraient même « y perdre » avec le RSA, puisque des « droits connexes » comme l’exonération de taxe d’habitation sont remis en cause.

Des gains limités, voire nuls

D’après le gouvernement, le RSA apportera en moyenne 106 euros par mois à 1,5 million de travailleurs pauvres, grâce à un cumul partiel prestation-salaire jusqu’à 1,04 SMIC, sans limitation de durée (voir ci-contre). La somme est modeste, mais toujours bonne à prendre, peut-on penser. Le hic, c’est que le RSA n’est pas forcément plus favorable que les dispositifs qui existent déjà.

Un allocataire du RMI qui reprend un travail bénéficie actuellement d’un système d’« intéressement » qui prévoit le cumul total prestation-salaire pendant trois mois, puis 150 euros mensuels pendant neuf mois, plus une prime de 1 000 euros à quatre mois. Avec le RSA, qui remplacera l’intéressement, la même personne gagnera moins sur la première année ! « Pour preuve, 40 % des personnes qui ont bénéficié du RSA en expérimentation ont demandé à revenir à l’ancien système », pointe Jean-Luc Outin, économiste et chercheur au centre d’économie de la Sorbonne. Et ce alors que le RSA expérimental était souvent plus favorable que celui qui va être généralisé.

D’après le Journal du dimanche, les équipes de Martin Hirsch reconnaissent que le RSA est moins avantageux « à court terme », et que l’« effet positif est assuré seulement à partir de la deuxième année de travail ». Là, le revenu serait « soit égal, soit supérieur » à la situation actuelle. Pour ces personnes installées dans l’emploi, il faut en effet comparer le RSA avec la prime pour l’emploi (PPE), qui peut aller jusqu’à 960 euros annuels. Celle-ci ayant été maintenue, le salarié touchera la prestation la plus favorable, pas forcément le RSA donc.

Vers des emplois en miettes

Au final, l’effet positif est assuré pour une seule catégorie de personnes : les salariés gagnant moins de 0,3 SMIC (400 euros brut mensuels), qui n’ont pas droit à la PPE mais toucheront le RSA. « Dans ces conditions, le RSA risque de provoquer une incitation à la création d’emplois à temps très partiel », s’inquiète Jean-Luc Outin, qui rappelle que « le plancher de 0,3 SMIC pour toucher la PPE avait justement pour but d’éviter ce genre d’effet pervers ». « L’incitation vaut pour les entreprises mais aussi pour les conseils généraux chargés de l’insertion, qui seront tentés d’activer le retour à l’emploi en proposant des miettes d’emplois, par exemple dans les services à la personne », précise le chercheur. Le risque est d’autant plus crédible que les services d’accompagnement disposent de moyens de pression accrus, depuis la loi sur l’« offre raisonnable d’emploi », pour faire accepter un emploi à un chômeur.

La subvention pérenne aux faibles rémunérations que constitue le RSA entérine les politiques de bas salaires des entreprises, et risque même de les accentuer. Les employeurs ne manqueront pas de profiter de la béquille financière apportée par l’État à leurs salariés.

Les pauvres en difficulté seront-ils mieux aidés ?

Le projet du RSA repose entièrement sur l’incitation financière à retravailler, alors que « les freins au retour à l’emploi sont très peu monétaires, et bien davantage liés aux problèmes de mobilité, de santé ou de garde d’enfants », comme le souligne l’économiste Denis Clerc dans le Monde de samedi. Muet sur ces aspects, le projet se contente d’affirmer le « droit à l’accompagnement » des allocataires. Il invite à « renouveler profondément les mécanismes » d’insertion, mais renvoie les modalités concrètes aux départements.

Le RSA fera-t-il reculer la pauvreté ?

Avec seulement 1,5 milliard injecté pour les travailleurs pauvres ou chômeurs auxquels l’État consacrait déjà 11,5 milliards, le recul de la pauvreté en France ne sera pas radical. Il sera nul chez les jeunes de moins de 25 ans, exclus du dispositif. Malgré tout, le gouvernement pourra peut-être afficher des résultats : « Comme la moitié des pauvres en France sont à moins de 160 euros du seuil de pauvreté [880 euros mensuels, NDLR], des miettes d’emplois peuvent suffire à faire franchir ce seuil de justesse », pointe Jean-Luc Outin. Encore faut-il qu’il y ait créations d’emplois, mêmes fractionnés, sachant que la conjoncture est mauvaise, que les entreprises et l’État réduisent leurs effectifs. Encore faut-il aussi que l’effet le plus marquant du RSA ne soit pas au contraire un élargissement de la pauvreté laborieuse, par l’institutionnalisation d’emplois précaires.

Enfin, le projet RSA ne s’attaque pas à la source principale d’augmentation du nombre de érémistes : les critères de plus en plus restrictifs d’accès à l’assurance chômage. Les négociations UNEDIC entre patronat et syndicats en fin d’année risquent de réduire encore cette couverture. Quelle position prendra un gouvernement qui dit lutter contre la pauvreté ?

Fanny DOUMAYROU dans l'Humanité du 3 septembre 2008

Publié dans France - Emploi

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