Coupable

Publié le par Jihad WACHILL

Le récit de la tragédie d’Istres est bouleversant. On a peine à croire qu’un huissier ait pu dire simplement « on continue » quand le corps de Morgane, la jeune mère de trente-trois ans qu’il devait expulser, gisait déjà au sol, trois étages plus bas. Dans quel monde vivons-nous ? Qu’est ce que cette barbarie moderne qui se retranche derrière des textes, des arrêtés ! Elle avait été prévenue, nous dit-on, des démarches avaient été tentées… Et cela justifierait la pratique consistant à jeter dehors une mère et ses trois enfants ? Et cela le jour même de la rentrée des classes, quand elle venait de conduire son bambin de quatre ans à l’école. À l’émotion succède la colère. L’inhumanité n’est pas moindre quand elle se prévaut de l’application de la loi.

Et quelle loi ? Plus de trente associations, des syndicats, se mobilisent régulièrement pour obtenir l’arrêt des expulsions. Le groupe communiste au Sénat a déposé dans le même but un projet de loi. La commission des droits de l’homme de l’ONU considère les expulsions forcées comme des violations des droits de l’homme. Le programme ONU habitat, vient de nommer une élue, la maire communiste de Bobigny Catherine Peyge, comme expert sur la question des évictions et des expulsions. Car Bobigny, depuis des années, s’y oppose, comme d’autres maires dans d’autres villes. Mais alors que leur action est reconnue sur le plan international, en France ils sont poursuivis. Les droits de l’homme au pays qui les a pensés et écrits sont-ils une donnée relative ?

La loi sur le droit opposable au logement a été vantée par le gouvernement, par la ministre Christine Boutin, comme une avancée extraordinaire. Comment peut-on continuer alors à expulser des locataires en difficulté ? D’après les chiffres de la Fondation Abbé-Pierre, chaque année plus de cent mille décisions d’expulsion sont prises, près de la moitié sont assorties d’un commandement de quitter les lieux, plus de 20 000 autorisent le recours à la force publique aux fins de les exécuter. 10 000 expulsions réelles au total ont lieu. Une sur dix ? Mais combien de drames, combien d’enfants effarés et de parents désespérés se retrouvant du jour au lendemain à la rue…

Les défenseurs de la loi - quel usage choquant des mots ! - argumentent. Il y a des recours, on donne aux locataires des délais, on essaie même de les aider, ils ne sont pas tous de bonne foi… Certes. Mais on sait, depuis longtemps, que l’étau des fins de mois difficiles, l’angoisse de ne pas pouvoir y arriver conduisent le plus souvent au repli quand ce n’est pas à la honte, interdisent de se confier, même aux proches. Car ce sont ceux que la loi devrait protéger que la loi rend coupables.

Coupables d’être chômeurs, et bien heureux s’ils obtiennent un semblant de salaire avec un RSA et à la condition d’être méritants et persévérants dans un sous-emploi.

Coupables d’être malades, de creuser les comptes de la Sécu, et astreints par conséquent aux franchises médicales, au forfait. Coupables de surendettement quand ils se débattent pour s’en sortir et pour tenter de vivre simplement avec quelques loisirs, quelques vacances, des jouets pour les enfants.

Coupables de ne pas payer rubis sur l’ongle leur loyer quand l’immobilier, malgré la crise, continue de faire le beurre des possédants, quand le logement social est toujours en panne dans des milliers de villes et que les récentes mesures gouvernementales ne peuvent qu’aggraver la situation des plus modestes. On sait comment ça dérape, quand un loyer est en retard, puis deux…

La ministre de l’Économie, Christine Lagarde, avait demandé il y a quelque temps devant la représentation nationale que l’on cesse dans ce pays de culpabiliser la richesse et les riches. Quelle sollicitude !.. Mais ce qu’elle n’a pas dit, c’est que cette politique acculerait comme jamais les pauvres. Jusqu’au suicide.

L'éditorial de l'Humanité du 6 septembre par Maurice ULRICH

Publié dans France - Logement

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article