Emilio SILVA : « Une relation pathologique avec le passé »

Publié le par Jihad WACHILL

Emilio SILVA, sociologue, a cofondé l’Association pour la récupération de la mémoire historique (ARMH).

Que vous inspire l’initiative du juge Garzon visant à établir un recensement des disparus durant la guerre civile et le franquisme ?

Emilio Silva. Il est extrêmement important qu’une instance de l’État telle que l’Audience nationale (la plus haute instance pénale - NDLR) se préoccupe des disparus, et puisse enquêter sur les circonstances de leur mort. Cela fait plus de huit ans que nous travaillons avec de nombreux volontaires. Nous avons exhumé 120 fosses et découvert les restes de 1 200 républicains assassinés durant la guerre et la dictature. Qu’une institution ou une personnalité enquête sur ces événements, trente-trois ans après le retour de la démocratie, est essentiel et aussi très émouvant.

Comment en est-on arrivé là ?

Emilio Silva. Le 14 décem- bre 2006, le jour même où la loi « sur la mémoire historique » du gouvernement de Zapatero était débattue au Congrès, des associations pour la récupération de la mémoire ont déposé des demandes auprès de l’Audience nationale afin de rechercher les lieux, exhumer des fosses, identifier les victimes et éclaircir les conditions de ces crimes. Le 8 février de cette année, le procureur - qui est nommé par le gouverne- ment - a demandé que ces cas de disparitions soient archivés au nom de la loi d’amnistie de 1977, empêchant ainsi toute poursuite. Pour lui, ces crimes auraient été commis de manière accidentelle dans certains villages et il estimait qu’il revenait donc aux juges locaux de s’en charger. Contrairement au procureur, le juge Garzon a décidé d’étudier aujourd’hui le caractère massif de ces exécutions durant les mois d’été à l’automne de 1936. Il s’agit de dresser une carte des assassinats, de cons- tater si elle s’étend à tout le territoire et à quelles caractéristiques elle répond : temps, configuration, nom- bre et profil des personnes tuées - généralement des dirigeants politiques et syndicats de gauche…

Ne sera-t-elle pas en contradiction avec la loi d’amnistie ?

Emilio Silva. Cette loi ne peut faire obstacle aux lois internationales relatives au droit humanitaire, et particulièrement celles autorisant à poursuivre les auteurs de crimes contre l’humanité. La loi d’amnistie est agitée pour défendre la politique d’impunité qui dure depuis la transition. Quant aux déclarations du procureur selon lesquelles les disparitions seraient des faits isolés, on parle de 22 000 disparus en Andalousie, 9 000 en Estrémadure, 3 200 en Navarre…

Quelle est la portée de l’initiative du juge Garzon ?

Emilio Silva. Nous n’avons jamais attendu que des lois voient le jour pour impulser notre travail et nous continuerons à nous impliquer dans la récupération de la mémoire jusqu’à ce qu’une institution de l’État prenne enfin le relais. En ce sens, l’initiative du juge Garzon est aussi importante que la mise au jour des fosses communes. Elle est d’autant plus saine qu’elle permet d’ouvrir le débat, à l’heure où certains pensent qu’il n’y a pas là matière à réflexion, sur la relation pathologique qu’entretient la société espagnole avec son passé.

Entretien réalisé par Cathy CEÏBE dans l'Humanité du 8 septembre 2008

Publié dans Histoire

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