Emmanuelle PERREUX : « La loi pénitentiaire est une grande déception »

Publié le par Jihad WACHILL

Prison : Le texte présenté hier en Conseil des ministres durement critiqué par Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature.

Quel bilan faites-vous du projet de loi pénitentiaire, présenté hier matin, en Conseil des ministres par Rachida Dati ?

Emmanuelle Perreux. C’est une grande déception. Tout le monde attendait une grande loi pénitentiaire, or on se retrouve avec un projet qui ne représente aucune avancée significative, que ce soit sur les droits des détenus ou le sens de la peine. Surtout, il n’y a rien sur ce qui constitue le véritable défi aujourd’hui : la surpopulation carcérale.

Pourtant, la garde des Sceaux s’enorgueillit de développer les alternatives à l’incarcération, et notamment l’aménagement de peine qui aurait augmenté de « 35 % », entre autres grâce au placement sous bracelet électronique…

Emmanuelle Perreux. Favoriser les aménagements de peines c’est d’abord donner des moyens au service social, aux antennes médicales en prison pour effectivement permettre d’accompagner les gens, de les pren- dre en charge véritablement pendant leur incarcération, de les aider à préparer un projet de sortie qui s’inscrive dans le cadre d’un aménagement de peine. Nous constatons qu’il y a un grand décalage entre les discours et les actes, nous ne voyons rien venir en termes de renforcement des moyens mis à la disposition du service d’application des peines ou des services d’insertion et de probation.

En quoi l’inexistence, dans la future loi, d’un chapitre sur le sens de la peine est-il si préjudiciable ?

Emmanuelle Perreux. Aujourd’hui, finalement, sanction égale prison. Or, cela dépend du but que l’on recherche. Si celui-ci est de punir, cela fonctionne. Mais s’il est d’éviter la récidive, on a tout faux car ça n’est certainement pas en enfermant des gens dans des prisons surpeuplées que l’on va y arriver. Au contraire, on va encore plus désocialiser les délinquants, les installer dans la précarité. Sur le sens de la peine, le projet de Rachida Dati reste silencieux.

On constate également que le volet santé a été évacué…

Emmanuelle Perreux. C’est pourtant une question fondamentale. Toutes les études montent qu’un grand nom- bre de détenus connaissent des problèmes psychi- ques graves, soit avant d’être incarcérés, soit déclenchés par la détention. Le secteur santé de l’administration pénitentiaire est misérable. Il n’y a pas suffisamment de psychiatres, de médecins généralistes, d’addictologues, d’infirmiers, etc., bref, des services qui permettent aux détenus de s’attaquer à des problèmes dont la résolution est indispensable à leur réinsertion.

Pour autant, n’y a-t-il pas dans le texte des avancées, comme le renforcement des liens entre les détenus et leurs familles ?

Emmanuelle Perreux. On affirme des droits qu’on accorde aux détenus, mais, en même temps, ce ne sont pas des droits opposables. À chaque fois, le texte prévoit que l’administration pénitentiaire (AP) pourra s’y opposer pour le bon ordre de l’établissement ou pour des raisons de sécurité. On voit immédiatement les dérives possibles car toutes les décisions sont laissées au libre arbitre de l’AP. On peut déjà être inquiet quant à l’effectivité des droits des détenus.

Quelles sont les lacunes ?

Emmanuelle Perreux. La philosophie de cette loi est très inquiétante. On ne trouve rien sur la procédure de mise à l’isolement qui est pourtant régulièrement dénoncée car l’AP y est à la fois juge et partie. Cette loi est totalement muette sur la libération conditionnelle. Il est paradoxal de prétendre être favorable aux aménagements de peine et d’être totalement silencieux sur cette mesure phare, qui permet d’accompagner dans le temps quelqu’un vers la réinsertion, ceci avec une réelle efficacité. Nous espérons que les débats parlementaires vont permettre d’améliorer ce texte. Il faut que les députés, gauche et droite confondues, se souviennent qu’en 2000 ils avaient à l’unisson écrit dans un rapport sur l’état des prisons françaises qu’elles étaient « la honte de la République ».

Entretien réalisé par Sophie BOUNIOT et paru dans l'Humanité du 29 juillet 2008

Publié dans France - Société

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