La France dans le bourbier afghan

Publié le par Jihad WACHILL

La nouvelle est tombée hier matin, sèche. Dix soldats français tués dans des combats avec les taliban. Vingt et un blessés. La guerre n’est pas une abstraction. Pour les familles et les proches de ces soldats, jeunes pour la plupart, c’est l’irruption dans la vie quotidienne du deuil et de la souffrance. Du désarroi peut-être. La mort d’un soldat n’est pas un accident. On entend désormais parler le plus souvent de missions de maintien de la paix, d’assistance aux populations. Ces morts qui nous touchent de si près viennent rappeler à tous, dans la France d’aujourd’hui, que notre pays est en guerre, en Afghanistan, et que la guerre tue.

Dès hier, le président de la République affirmait que la France était résolue à « poursuivre la lutte contre le terrorisme » et que « la cause est juste, c’est l’honneur de la France et de ses armées que de la défendre ». Est-ce bien le cas ? Les taliban, chassés du pouvoir en 2001, veulent le reconquérir et mènent pour cela une lutte sans relâche. Mais malgré sept ans de guerre et 70 000 soldats sur place, ni les forces de l’OTAN ni les forces directement sous commandement américain ne sont parvenues à les contenir, en s’enlisant dans ce qu’il faut appeler une sale guerre. Les taliban semblent au contraire plus forts que jamais. Les politiques de développement et de reconstruction, en revanche, sont toujours balbutiantes, les sommes versées disparaissent dans les réseaux multiples de la corruption, le trafic de l’opium est florissant qui profite aussi bien aux taliban qu’aux seigneurs de la guerre ou aux chefs de clan. Le pouvoir vient d’adopter une nouvelle Constitution, approuvée par l’Occident qui définit l’État afghan comme un État islamique fondé sur la loi coranique, c’est-à-dire la charia. Et ce serait ce pouvoir qui aurait à coeur de conduire la marche du pays vers la démocratie ? Les États-Unis, comme Nicolas Sarkozy désormais, justifient la guerre afghane par la lutte contre le terrorisme. Il n’en est rien sur le terrain, en termes militaires, comme il n’en est rien dans le monde en termes politiques. Le terrorisme ne naît pas forcément du désordre du monde mais il s’en repaît.

« La présence à long terme des troupes françaises à cet endroit du monde ne me semble pas décisive. » Ces propos sont ceux de Nicolas Sarkozy le 26 avril 2007. Ils s’inscrivaient dans la continuité des distances prises par Jacques Chirac vis-à-vis des intérêts américains dans cette région du monde et de ce qui était devenu, selon l’expression convenue, un bourbier. Mais le 3 avril dernier, il annonçait à Bucarest, au sommet de l’OTAN - la précision n’est pas anodine - l’envoi de 800 soldats français en Afghanistan en plus des 2 200 qui y étaient déjà. Une décision régalienne prise sans vote au Parlement, les députés étant simplement autorisés à s’exprimer selon le vieux principe « Cause toujours tu m’intéresses ». Dans le même élan, la France revenait dans le commandement intégré de l’OTAN et signait de fait son alignement sur la stratégie géopolitique de l’administration Bush.

Le monde en ces jours d’août devient inquiétant. À la crise économique s’ajoute la tension dans le Caucase et comme un retour à un climat de guerre froide. Le drame d’hier dans le chaos afghan vient cruellement rappeler que dans cette partie du monde, comme un domino entre les puissances nucléaires que sont la Chine, l’Inde, le Pakistan, la Russie, dans ce maillon entre les champs de pétrole et les terminaux pétroliers, une autre partie se joue, orchestrée par les États-Unis et l’OTAN. Elle n’a rien à voir avec l’établissement de la démocratie mais a pour enjeu le contrôle du monde. L’OTAN qui fut, pendant la guerre froide, l’organisation militaire faisant face à l’Union soviétique au nom de l’équilibre entre les superpuissances est maintenant le bras armé, partout dans le monde, de la superpuissance américaine. La France n’a rien à y gagner. Elle y perd, tragiquement.

L'éditorial de l'Humanité du 20 août 2008 par Maurice ULRICH

Publié dans Asie

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