Quand Gao Pin Yun Ma parcourt les montagnes tibétaines

Publié le par Jihad WACHILL

Chine : Au fin fond de la province du Qinghai vivent des communautés tibétaines. Rencontre avec un de ces habitants des hauts plateaux où l’on parle du dalaï-lama, du pouvoir et de l’avenir du Tibet.

Yushu (Chine, province du Qinghai), envoyé spécial.

C’est un des coins les plus reculés de la province du Qinghai, s’étendant sur les steppes de l’Amdo au nord et les denses forêts du Kham au sud. La préfecture de Yushu, c’est son nom, est à 97 % tibétaine et les monastères bouddhistes y pullulent. Pour s’y rendre, il faut partir de Xining, la capitale provinciale, en autocar, l’arrivée, la ville de Yushu, se trouvant à 17 heures de route de là, vers la frontière du Tibet. Une route qui s’enfonce dans les vallées et monte, monte, passant des cols à 4 800 mètres, surplombant d’impressionnantes falaises dans un décor majestueux où l’herbe de la steppe laisse pousser des pics à plus de 6 000 mètres d’altitude.

Yushu (4 000 mètres) est une bourgade au regard de la réalité chinoise avec ses 270 000 habitants. Plusieurs dizaines d’entre eux sont justement là sur la place où trône non pas la statue d’un dirigeant politique, mais un yack, animal si ce n’est sacré comme les vaches en Inde, en tout cas d’une importance économique irremplaçable pour le moment. Des femmes, vieilles et jeunes mélangées, sont assises à même le trottoir avec, devant elles, des bassines remplies de produits fromagers. Les hommes, chapeaux vissés sur la tête et, pour certains, vêtus de l’habit traditionnel des Tibétains, sont très occupés. Ils palabrent comme on dirait en Afrique, sortent des machines à calculer, des petites balances, s’apostrophent autour d’un drôle d’échantillon. Il s’agit de la vente de yartse gompa, un champignon parasite de la chenille, connu pour ses vertus de tonique sexuel !

Gao Pin Yun Ma, un solide gaillard qui atteint la cinquantaine, est de ceux-là. Il a deux enfants (un privilège que possèdent les Tibétains comme d’autres minorités, les Han, majoritaires en Chine, devant se soumettre à la politique de l’enfant unique), dont l’une est chanteuse. Lui a quitté ses terres pour cause de protection de la steppe, a empoché les 100 000 yuans (environ 10 000 euros) de compensation que lui a octroyés le gouvernement, ce dernier versant de plus 6 000 yuans par an. « C’est suffisant pour vivre », affirme-t-il.

« Depuis une dizaine d’années, nos conditions de vie se sont considérablement améliorées grâce à la politique du gouvernement central », dit-il, ajoutant aussitôt : « Le problème est que l’argent est détourné par des cadres locaux. Conséquence, les Tibétains, qui ne perçoivent pas la différence entre le niveau local et le niveau central, font l’amalgame. » C’est lui qui nous amène dans la vallée à une vingtaine de kilomètres de Yushu. Un jeune paysan (trente-deux ans) vient justement de quitter les sommets de la montagne où ses bêtes étaient en pâturage pour se préparer à l’arrivée de l’hiver. Sa femme désarrime les sacs de toile placés sur le dos des yacks et qui contiennent la précieuse bouse séchée, combustible indispensable. « Notre vie tout entière est construite autour des bêtes, y compris ce qu’on boit et qu’on mange », précise le jeune homme. « On se sent 100 % tibétain », répond-il à une question sur son appartenance ethnique. Comme beaucoup de ceux rencontrés - Gao Pin Yun Ma est de ceux-là -, il ne cache pas sa dévotion pour le dalaï-lama.

« Au niveau religieux, nous lui sommes fidèles. Mais, au niveau pratique, les communistes nous ont sortis de la pauvreté. On aime en même temps le dalaï-lama et le président Hu Jintao », lâche-t-il. « Le Parti communiste nous a donné à manger, donc on met le drapeau rouge », surenchérit Gao. Le poids de la religion, la prégnance du bouddhisme est à ce point marquée que le jeune paysan ne voit l’avenir de son fils (six ans) et de sa fille (dix ans) que dans un temple. « Je veux qu’ils soient moines, dit-il avec ferveur. Les gens respectent les moines et donc leurs familles. C’est un véritable espoir pour cette vie et celle dans l’au-delà. »

Dans l’école dite « de la princesse » (à cause du « temple de la princesse Wencheng », en contrebas), sur un plateau niché encore un peu plus haut, les enfants s’amusent comme partout ailleurs. Chicheng Dan Zhen est l’un des instituteurs. L’enseignement se fait en mandarin et en tibétain. Contrairement aux Han, les Tibétains ne paient pas de droits d’inscription. À la rentrée, ils perçoivent également 10 000 yuans par enfant. « Avant, tout était en tibétain », remarque-t-il. « Maintenant, on fait un mélange des deux langues. Si les enfants ne font pas d’études, ils ne trouveront pas de travail », insiste-t-il.

Pour lui aussi, le dalaï-lama, « c’est le soleil ». Mais, lucide, il précise : « On se demande bien comment on vivrait sans la Chine. » Chicheng n’est pas un fervent partisan du pouvoir central. Il est même circonspect et hésite, voire refuse de répondre à quelques interrogations. « Toutes tes questions sont dangereuses. » Gao Pin Yun Ma, lui, n’a pas peur de répondre : « Les Tibétains sont inquiets pour leur langue qu’ils perdent petit à petit, ils ont peur d’une assimilation culturelle. Enfin, il y a la question de l’emploi à cause du manque d’éducation. » Ce qui ne l’empêche pas de refuser les menées indépendantistes, là comme au Tibet même, ainsi que ceux, à l’étranger qui les soutiennent. « Que veulent-ils ? demande-t-il. Qu’on revienne au temps où l’on n’avait rien ? Il faudrait qu’on revienne au cheval ? »

Pierre BARBANCEY dans l'Humanité du 26 août 2008

Publié dans Asie

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