L’ONU confirme le massacre de Shindand

Publié le par Jihad WACHILL

Afghanistan : Les 90 civils ont bien été tués par un raid américain. Pour les États-Unis, ce n’est cependant qu’« une frappe légitime contre les talibans »

La tuerie de Shindand a été confirmée hier par les Nations unies. Les raids aériens de la coalition internationale ont bien tué 90 civils, en majorité des femmes et des enfants, vendredi dernier, lors d’une attaque des forces spéciales américaines contre le village de Nawabad, dans la province de Herat. « Les enquêtes de la Manua (Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan) ont fait apparaître des éléments de preuve convaincants, fondés sur les récits de témoins oculaires et d’autres, qui font penser qu’environ 90 civils ont été tués - 60 enfants, 15 femmes et 15 hommes », a affirmé l’émissaire de l’ONU en Afghanistan, Kai Eide, dans un communiqué. La Manua a envoyé des représentants sur les lieux du bombardement pour enquêter et rencontrer des responsables locaux ainsi que des villageois.

Colère à Kaboul

Selon les témoignages des habitants, des soldats afghans et étrangers ont pénétré dans le village le 21 août vers minuit. Les opérations ont duré plusieurs heures et des avions de combat sont intervenus. « Les destructions provoquées par un bombardement aérien étaient évidentes, sept ou huit maisons ayant été entièrement détruites et beaucoup d’autres ayant subi de sérieux dégâts. Des habitants ont été en mesure de confirmer le nombre des victimes, notamment leur nom, leur âge et leur sexe », précise le communiqué de l’ONU.

Jusqu’à la publication des résultats de l’enquête onusienne, les États-Unis ont démenti l’ampleur du massacre ne reconnaissant la mort que de cinq civils et affirmant que des avions de chasse avaient pris pour cible un chef militaire taliban connu et tué 30 activistes. De toute façon, il s’agissait d’ « une frappe légitime contre les talibans », faisait valoir lundi un porte-parole du Pentagone, Bryan Whitman. Une commission afghane avait déjà dénoncé depuis plus de 48 heures la tragédie de Nawabad qui a déclenché une vague de protestations à Kaboul et dans la région de Shindand forçant les autorités afghanes à réagir. Lundi, elles réclamaient la renégociation de la présence des forces étrangères dans le pays afin d’« établir les limites et les responsabilités des forces internationales conformément aux lois afghanes et internationales » et de « mettre un terme aux frappes aériennes visant des cibles civiles, aux perquisitions et aux détentions illégales de citoyens afghans ». Une demande que le porte-parole du Pentagone a refusé de commenter.

260 000 déplacés au pakistan

Autres paramètres de la guerre afghane, la déstabilisation galopante du Pakistan et la tension russo-américaine à propos de la Géorgie. Dans un entretien publié hier par le Times, l’ambassadeur russe à Kaboul estimait que l’OTAN ne devrait plus être autorisée à utiliser les routes russes pour acheminer vivres et équipements en Afghanistan, puisque la Russie a décidé de « geler » sa coopération militaire avec l’Alliance. Or même si le représentant permanent de la Russie auprès de l’Alliance, Dmitri Rogozine, a assuré qu’il n’en était rien et que la coopération concernant le transit de vivres et d’équipements en Afghanistan serait maintenue, la suspension est évoquée publiquement. Si elle devait se concrétiser, elle porterait un coup aux opérations militaires de l’OTAN en Afghanistan. L’Alliance fait transiter environ 30 % de ses approvisionnements - nourriture, carburant, eau et équipements - par des bases en Asie centrale. Le reste passe par le Pakistan et Khyber Pass donc des zones tribales. Et le voisin pakistanais est de plus en plus fragilisé. Sous fortes pressions de Washington, le nouveau gouvernement a lancé, il y a trois semaines, une vaste offensive contre les milices radicales organisées dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan. À la suite de quoi, plus de 260 000 personnes ont été chassées de leurs foyers dans le district de Bajaur par les combats et les attentats suicide.

Coup de poker politique

Les Nations unies et le gouvernement pakistanais ont ouvert 34 camps dans la province de la Frontière du nord-ouest (NWFP), en dehors des zones tribales, pour accueillir les déplacés, a indiqué l’ONU. Pendant ce temps à Islamabad se joue un nouveau et dangereux coup de poker politique. La coalition gouvernementale issue des élections de février a éclaté. La Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz (PLM-N) de l’ex-premier ministre Nawaz Sharif, deuxième pilier de la coalition, qui venait juste de pousser le président Moucharraf à la démission, a rejoint lundi l’opposition. Les querelles entre Sharif et son rival Asif Zardari, le mari de Benazir Bhutto assassinée en novembre dernier, et qui a repris la direction du Parti du peuple du Pakistan (PPP), ont donc pris le pas sur l’intérêt national. Le pays, miné par une grave crise économique, plonge dans la plus grande incertitude dont l’armée et les mouvances fondamentalistes sauront tirer partie.

Dominique BARI dans l'Humanité du 27 août 2008

Publié dans Asie

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