« Guerre contre le terrorisme » : le fiasco

Publié le par Jihad WACHILL

Depuis sept ans, les forces de l’OTAN sont engagées dans un conflit armé provoquant la radicalisation de la population afghane et s’inscrivant désormais dans une crise régionale.

Avant même le débat qui s’ouvre aujourd’hui à l’Assemblée nationale et au Sénat, de nouveaux renforts français sont sur le départ. Décision prise non en attente de l’opinion des Français mais conformément à la nouvelle stratégie de Washington de renforcer sur le terrain de guerre la coalition internationale et l’OTAN. George Bush vient de valider la demande du chef de l’état-major interarmée, l’amiral Mike Mullen qui estimait qu’il manquait l’équivalent de trois brigades supplémentaires, soit environ 15 000 hommes. « Nous sommes engagés dans des combats très durs ici (…) et je pense que cela va durer longtemps », a dit le haut gradé américain, concédant dans le même temps que la coalition occidentale n’était pas en train de gagner en Afghanistan.

Les États-Unis et l’OTAN prônent un changement de stratégie afin de combattre l’insurrection jusqu’au Pakistan. « À mes yeux, ces deux pays sont inextricablement liés par une même insurrection qui franchit leur frontière commune », martèle Mullen, faisant fi des analyses de nombreux spécialistes de la région mettant en garde sur les risques d’attiser le feu dans la poudrière. « Face au désastre, les Occidentaux réagissent sans imagination par une augmentation de leurs forces, alors même que la présence occidentale est un facteur essentiel du développement de la guérilla des taliban », insiste Gilles Dorronsoro, professeur en sciences politiques à Paris, spécialiste de l’Afghanistan.

Il y a aussi une solide méconnaissance sur « l’ennemi », constatent les chercheurs français travaillant sur la région. Qualifier de « terroristes » tous les combattants anti-occidentaux en Afghanistan est un amalgame erroné qui condamne à ne pas comprendre les menaces et les enjeux, estiment-ils. Même s’ils peuvent côtoyer par endroits et par moments, surtout dans l’Est du pays, des groupes proches ou affiliés à al Qaeda, ils ne s’inscrivent pas dans la mouvance du « djihad global », assurent-ils. Contrairement à ce qu’on a voulu faire croire, les taliban ne sont nullement une excroissance étrangère au peuple afghan : leurs partisans sont partie intégrante de ce peuple et leur combat est à la fois religieux et national. Mariam Abou Zahab, chercheur au CERI-Sciences-Po, regrette que « taliban soit devenu un terme fourre-tout qui désigne toute personne opposée au gouvernement Karzaï et à la présence militaire étrangère ». « Vous avez, surtout dans le Sud, des combattants extrêmement jeunes qui sont avant tout nationalistes. Leur discours est basique mais efficace : des troupes non musulmanes ont envahi mon pays. C’est mon devoir de les combattre. Point. » « Ce sont des gamins ruraux, illettrés », ajoute-t-elle. « Leurs seules références, c’est le mollah et le responsable tribal. C’est très local. » Si, pour Gérard Fussman, professeur au Collège de France, « les troupes de l’OTAN ne contrôlent pas plus l’Afghanistan que ne le faisaient les Soviétiques », « la raison en est simple : elles se conduisent et sont perçues comme une armée d’occupation (…) ». Mariam Abou Zahab et Bernard Dupaigne, chercheur au Musée de l’Homme, mettent en garde contre un accroissement du nombre de soldats étrangers dans les vallées afghanes qui n’aboutira, selon eux, qu’à radicaliser des populations jalouses de leur indépendance, que personne n’a jamais soumises par la force. « Plus on envoie de troupes, plus il y aura de dommages collatéraux », avertit encore Mariam Abou Zahab. « Davantage de civils tués, et c’est la spirale. » Pour Bernard Dupaigne, « dire que l’avenir du monde et la guerre contre le terrorisme passent par l’Afghanistan, c’est faux. L’Afghanistan n’est pas une machine à faire des terroristes. Plus on les bombarde, et plus il y aura des gens qui vont nous tirer dessus. »

Selon les Nations unies, près de 1 500 civils afghans ont péri depuis le début de l’année, dont 577 victimes des forces afghanes et des alliés de la coalition internationale. Pour le seul mois d’août, 339 civils ont trouvé la mort dans les affrontements, un record mensuel depuis sept ans.

La guerre en Afghanistan s’inscrit désormais dans une crise régionale et les Occidentaux doivent le comprendre, elle ne peut être contenue à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan, analyse Ahmed Rachid. Ce conflit concerne aussi le Pakistan, l’Asie centrale, l’Iran, l’Inde. Mais de ce constat essentiel, les conclusions qui en sont tirées divergent. Prenant acte que les zones tribales pakistanaises servent de sanctuaires pour des groupes d’insurgés afghans, les États-Unis ont multiplié les raids sur le territoire pakistanais provoquant la colère des dirigeants locaux et fragilisant le gouvernement d’Islamabad pakistanais et le nouveau président Asif Ali Zardari. Avec pour effet, précise encore Gilles Dorronsoro, « d’installer l’idée que les fondamentalistes sont les seuls à défendre l’intégrité du territoire national. S’ils continuent dans cette voie, les Américains transformeront ce sanctuaire en champ de bataille ».

De fait, l’armée américaine a déjà étendu la guerre au Pakistan. Selon un adjoint du général Jeffrey Schloesser, plus haut gradé américain en Afghanistan, les opérations se sont multipliées depuis début juillet et ont visé en priorité les agences tribales de Bajaur, du Nord-Waziristan et du Sud-Waziristan où se trouveraient l’essentiel des groupes d’insurgés. Quatorze attaques transfrontalières ont été reconnues par l’armée américaine en 2008. Depuis le 31 août, les Américains ont admis quatre raids aériens et une attaque au sol, accélérant ainsi la déstabilisation du Pakistan que recherchent les islamistes usant d’attentats suicides meurtriers - comme celui de vendredi contre l’hôtel Marriott à Islamabad - pour aboutir à leurs fins. « Il faut une initiative diplomatique générale », propose Ahmed Rachid.

La stratégie de la guerre pourra-t-elle céder le pas à la stratégie de développement ? Dans les textes depuis 2001, l’argent n’a pas manqué dans la région pour la reconstruction. Dans les faits, Washington a imposé sa loi et dépensé 130 milliards de dollars pour ses opérations militaires. Quant aux 50 milliards promis par la communauté internationale pour le développement de l’Afghanistan, une minime partie a été décaissée représentant 8 % à peine des dépenses militaires. Terrible fiasco qui a amené les ONG françaises présentes à Kaboul à appeler le gouvernement français et la communauté internationale à « une rupture stratégique » . Cinq millions de personnes, selon elles, seraient en situation « d’insécurité alimentaire » sur les 20 millions d’Afghans. Nous sommes bien loin des promesses de Bonn de 2001.

Dominique BARI dans l'Humanité du 22 septembre 2008

Publié dans Asie

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article