Les crimes d’État, la première plaie de la Colombie

Publié le par Jihad WACHILL

BOGOTA : Le rapport de plusieurs ONG et les témoignages exposés à Paris par la Commission éthique de la vérité sont des pièces accablantes au dossier des exactions du régime Uribe.

Plusieurs dizaines de portraits sont épinglés sur le mur. Des syndicalistes, défenseurs des droits de l’homme ou opposants. Tous morts ou disparus, victimes de l’État colombien. Dans cette salle de conférence située au coeur de Paris, ce 3 septembre, Angel, un réfugié colombien vivant en Europe depuis plusieurs années, est venu témoigner devant la Commission éthique de la vérité de Colombie sur ce qui l’a poussé à fuir son pays. C’était un soir de janvier 1990. Soixante hommes armés sont arrivés dans son village, ont incendié des bâtiments avant d’emmener 43 paysans. Parmi eux se trouvait le père d’Angel. Comme les autres, il n’est jamais réapparu vivant. Des corps seront finalement retrouvés dans la propriété de chefs paramilitaires. Angel veut savoir, il cherche, pose des questions, mais des menaces de mort le contraindront à l’exil. Des témoignages similaires, la Commission éthique de la vérité en a recueilli plusieurs dizaines lors de la session publique qu’elle vient de tenir à Paris du 1er au 5 octobre à l’initiative du Mouvement national des victimes de crimes d’État de Colombie (Movice) (1). C’est lui qui a créé cette Commission internationale il y a quelques années face au silence et à l’impunité qui couvrent, dans ce pays, les crimes d’État.

SITUATION AGGRAVÉE DEPUIS URIBE

Depuis plus de cinquante ans, la Colombie est en proie à un conflit interne, que la médiatisation du dossier des otages a souvent réduit aux enlèvements et à l’action des guérillas. La publication, le 23 septembre, du rapport d’une coalition d’ONG (2) internationales, révèle une réalité bien différente. Non seulement le principal responsable des violations des droits de l’homme reste – par action directe ou par soutien aux groupes paramilitaires – l’État colombien, mais la situation s’est aggravée depuis l’élection, en 2002, d’Alvaro Uribe. Selon le rapport, 13634 personnes ont été tuées pour des raisons politiques, entre 2002 et fin 2007. Dans les cas élucidés, 25 % des crimes étaient imputables aux guérillas, 58,1% aux paramilitaires et 16,5 % directement à la force publique. Officiellement démobilisés, « les groupes paramilitaires continuent à poursuivre les leaders sociaux, et plus généralement toute forme de critique et d’opposition au gouvernement, à travers des menaces, des disparitions forcées, des assassinats et des déplacements forcés », notent les auteurs, pointant les liens persistants entre paramilitaires et agents de l’État. Si l’action du gouvernement a permis de réduire certaines violences telles que les enlèvements, ajoutentils, la militarisation croissante du territoire a mené à une hausse des violations des droits de l’homme directement attribuées à la force publique. Les exécutions extrajudiciaires ont ainsi doublé entre 2002 et 2008. En Colombie, cette collusion entre paramilitaires d’extrême droite et responsables de l’État fait aujourd’hui les gros titres. Le scandale de la parapolitique, qui a éclaté après les aveux de chefs paramilitaires, a déjà conduit 60 parlementaires devant la justice, dont certains sont très proches du président. Ce premier pas contre l’impunité reste pourtant fragile. Entre autres attaques, Alvaro Uribe vient ainsi d’accuser les magistrats de la Cour suprême de complicité avec la guérilla. « On peut se demander si cette offensive de la justice n’a pas comme pendant un raidissement du gouvernement en Colombie et à l’extérieur », souligne Sophie Thonon-Wesfreid, avocate et présidente de France-Amérique latine.

AMALGAME OPPOSITION TERRORISME

Les réfugiés politiques réunis à Paris ont tous dénoncé la stratégie de leur gouvernement, relayée par ses services diplomatiques, qui vise à amalgamer opposition et terrorisme, et fait de tout demandeur d’asile colombien un suspect. Ceux qui sont arrivés il y a vingt ans ont obtenu leur statut sans trop de difficultés, tandis qu’aujourd’hui, plusieurs années d’attente sont souvent nécessaires. Tous ont dit la douleur de l’exil, cette rupture des liens familiaux, sociaux et professionnels. Pour la première fois, la session de la Commission éthique s’est accompagnée d’une Audience citoyenne internationale en présence du délégué du Défenseur national du peuple, une institution de l’État colombien chargée de défendre les droits de l’homme. Celui-ci doit maintenant transmettre les témoignages recueillis à la justice colombienne.

Charlotte BOZONNET dans l'Humanité du 6 octobre 2008

(1) Avec le soutien de : France- Amérique latine (FAL), la Coordination populaire colombienne à Paris, la Commission interecclésiale de justice et paix (Colombie), ACAT France.

(2) OIDH-ACO : Oficina Internacional de Derechos Humanos-Acción

Publié dans Amérique latine

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article