Stéphane BONNERY : « Le débat sur l’école échappe aux familles populaires »

Publié le par Jihad WACHILL

Chercheur en sciences de l’éducation à l’université Paris-VIII Saint-Denis, Stéphane BONNERY est également membre du réseau école du PCF.

L’école républicaine est-elle en train de rompre avec sa vocation historique ?

Stéphane Bonnéry. Oui et non. L’école républicaine est un compromis entre une logique de démocratisation et une logique de sélection sociale. Lorsque Jules Ferry installe l’école de la IIIe République, c’est une avancée en termes d’accès aux savoirs pour les enfants du peuple. Mais c’est aussi une école au rabais, comparé au petit lycée qui accueillait les enfants dès six ans sur la base d’un recrutement élitiste. Cette double logique se retrouve dans les réformes qu’intronisera le gouvernement gaulliste à partir de 1959 : elles cèdent sur une étape de démocratisation scolaire. Mais elles inventent aussi un système basé sur la sélection, en créant des filières séparées au collège derrière le slogan mystificateur de l’égalité des chances et de la méritocratie. On dit aux élèves : si vous êtes bons, vous aurez une bonne place dans la société. Ce faisant, on rend acceptable l’idée qu’une société se compose d’élite et de gens qui n’en font pas partie. De fait, dès le début, l’école se trouve dans une crise structurelle : elle doit tout à la fois élever le niveau général des connaissances et faire du tri aux services des besoins d’une société capitaliste.

Les réformes actuelles ont-elles tranché pour la seule voie de la sélection ?

Stéphane Bonnéry. Non. Il y a radicalité nouvelle dans la mesure où le pôle démocratique s’est affaibli. Mais il existe encore. Il faut mesurer la contradiction du système. L’école remplit trois fonctions : l’une est culturelle, c’est la transmission des savoirs d’une génération à l’autre. Une fonction économique, qui répond aux besoins de former les futurs travailleurs. Et une fonction de tri sociale, donc. Elles sont indissociables. On a laissé faire en croyant que cet équilibre instable perdurerait. La gauche au pouvoir a considéré que le capitalisme est domesticable. Mais, sous l’effet de la massification, cet équilibre s’est rompu voilà une quinzaine d’années. Aujourd’hui, la droite s’en sert.

Peut-on parler d’une libéralisation de l’école ?

Stéphane Bonnéry. En partie. Mais n’oublions pas que le capitalisme à toujours plusieurs visages. Il y a d’une part une libéralisation des parcours scolaires, par exemple avec des filières modulables que propose la réforme des lycées (l’Humanité du 7 octobre 2008 - NDLR). Mais ce volet cache une intervention très prononcée de l’État qui, d’une main de fer, met à bas la filière des sciences économiques et sociales. Il ferme l’horizon des choix et dit : dans ce petit espace, choisissez. On est loin du grand laisser-faire…

Quelle est l’alternative ?

Stéphane Bonnéry. Relancer un nouveau plan Langevin Wallon. Non pas par nostalgie, mais pour réaffirmer l’ambition d’élever les connaissances pour tous. En élargissant la scolarité obligatoire de trois ans à dix-huit ans, par exemple, contre six ans et seize ans aujourd’hui. En enseignant de nouvelles disciplines, comme le droit. En admettant que l’élève normal est celui qui arrive à l’école sans rien savoir et en cessant de déléguer le traitement des difficultés scolaires aux associations ou au privé. En soutenant les enseignants avec des moyens appropriés. En renforçant, enfin, le pouvoir de décision collective : si la droite avance aussi fort, c’est que la question scolaire est restée une affaire d’experts. Le débat échappe complètement aux familles populaires. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas se contenter du statu quo. Attendre la prochaine alternance ne sert à rien si l’on ne propose pas une refonte complète du système scolaire, s’appuyant sur ses acquis et s’attaquant à ses défauts.

Entretien réalisé par Marie-Noëlle BERTRAND et paru dans l'Humanité du 18 octobre 2008

Publié dans France - Education

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