L’école, cible du libéralisme

Publié le par Jihad WACHILL

Éducation : Parents et personnels manifestent dimanche à Paris. Sur fond de crise, l’occasion est belle de dénoncer la pensée libérale qui tente de s’immiscer dans les classes.

Il y a des manifs qui tombent bien. À l’heure où la crise accapare l’actualité, parents et personnels de l’éducation nationale battront le pavé parisien, ce dimanche, pour la première manifestation nationale de l’année (lire ci-après). Prévu bien avant la grosse gamelle du capitalisme fincancier, ce défilé arrive finalement à point nommé. Chasse aux fonctionnaires, élitisme glorifié, mise en concurrence… L’école est une des cibles privilégiées de la pensée libérale. Petit tour d’horizon des mesures qui menacent la vocation démocratique de notre école.

Postes : décroissance au long cours

Enclenchée furtivement en 2004, la décroissance du nombre d’enseignants s’est accélérée à compter de 2007 pour atteindre les 13 500 postes biffés en 2009. Les collèges et lycées auront perdu, dans cette période, près de 35 000 enseignants. Le primaire encaissera sa première coupe sèche d’enseignants en 2009, avec 6 000 postes en moins.

Dans les deux cas, le gouvernement s’appuie sur la logique implacable des seuils : nationalement, le ratio prof-élèves se révèle très correct - 1 enseignant pour 13 élèves dans le secondaire. La réalité diffère sur le terrain. Des classes ferment, d’autres se chargent. « On a commencé par fermer des sixièmes. Aujourd’hui, ce sont les secondes », explique Daniel Le Cam, du SNES-FSU. Trente-cinq, voire 40 élèves par classe dans les établissements les plus demandés. Les premières s’engagent sur la même voie. « En S, ils étaient 20 par classe il y a encore trois ans. Il n’est plus rare qu’ils soient 30 aujourd’hui. » Derrière la logique comptable se dessine, peu à peu, une discrimination de l’offre d’enseignement. À l’intérieur même des établissements, les disparités s’accroissent. La règle impose de dédoubler certains cours - de langues ou de sciences - passés les 24 élèves ? Plutôt que de créer deux classes à 28, une académie préférera en faire une à 24 et une autre à 32. « C’est de l’inégalité de base », conclut Daniel Le Cam. « Les parents mesurent parfaitement cette différence de traitement. »

L’équité a vécu, place à la concurrence

De la réduction des dépenses publiques à la visée libérale, il n’y a qu’un pas. En 2007, lors de la campagne électorale, les Cercles libéraux - think tank conduit par Alain Madelin -, plébiscitaient une gestion managériale de l’éducation. Principe phare : offrir plus d’autonomie aux établissements et l’accompagner d’objectifs évalués annuellement. Les financements et les enseignements pourraient ainsi varier selon les établissements, voire en leur sein. « À quoi bon s’obstiner à imposer les mêmes programmes et les mêmes horaires à tous les enfants d’une même tranche d’âge ? », peut-on lire. On cite en exemple les écoles à la carte - Charter School - qui se multiplient aux États-Unis, où enseignants et parents décident des contenus : ici, seulement des maths, là uniquement des langues. Ailleurs, pas d’enseignants du tout, « mais des conseillers pédagogiques auprès des enfants qui choisissent ce qu’ils ont envie d’apprendre », s’enthousiasment les Cercles. La qualité naît de la concurrence, assènent-ils en substance, défendant, in fine, la liberté des parents à choisir leur école.

Application française de ce sacro-saint libre choix : la suppression de la carte scolaire. Engagée en 2007 pour s’achever en 2010, elle devait permettre aux familles pauvres d’accéder aux établissements bien cotés. C’est l’inverse qui se produit. Dès juillet 2007, un rapport rédigé par deux inspecteurs de l’éducation nationale pointait un renforcement de la ghettoïsation. « Dans les établissements les plus convoités, il y a peu d’élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories les plus favorisées qui ont disparu », poursuit le rapport. Les établissements cotés ont peaufiné leur sélection non pas en fonction des critères sociaux, mais des carnets de notes. Quant aux collèges délaissés, « la question de leur survie est ouvertement posée », note encore le rapport.

Ambition étriquée, programmes orientés

Beaucoup l’affirment : dans son contenu même, l’école tend vers une pensée libérale. « Nous basculons d’une conception républicaine, qui veut croire en l’éducabilité de tous, à une conception libérale », estime ainsi Pierre Frackowiak, ancien instituteur et inspecteur de l’éducation nationale dans le Nord (1). Enclenchée en 2005 avec la révision de la loi d’orientation sur l’école, la rupture s’accentue en 2006. Gilles de Robien, alors, entreprend de rénover les apprentissages - celui de la lecture, notamment - du primaire. L’entreprise aboutit en 2008 à la révision des programmes conclue par Xavier Darcos. B.A.BA, liste de dates à apprendre ou calcul mental : les nouveaux textes privilégient le « par coeur ». Ce que cela a de libéral ? « Ils valorisent un enseignement mécanique des savoirs, au détriment de la compréhension et de l’appropriation des connaissances », explique le pédagogue. Un retour aux pratiques du début du XXe siècle, époque, rappelle-t-il, d’une école ultra-élitiste. « On ne parlait pas d’échec dans la mesure où, passé l’élémentaire, les gosses étaient intégrés par le travail… »

Autre exemple avancé par beaucoup : l’instauration, depuis cette année, de l’accompagnement éducatif - forme de soutien scolaire - le midi ou le soir dans les écoles primaires. « On alourdit la journée des enfants et l’on diffuse l’idée que les problèmes sont à résoudre hors du temps scolaire. C’est une dévalorisation de l’action pédagogique. » Mis en oeuvre sans cohérence, ce soutien sera inefficace, assure encore Pierre Frackowiak. « Mais on dira : "Regardez ! La République offre les mêmes moyens à tous. Ceux qui n’y arrivent pas, c’est de leur faute ! " C’est du libéralisme à mort ! » Une façon d’asséner que la vie réservera toujours son lot de perdants. Et que l’on ne pourrait rien y faire.

Marie-Noëlle BERTRAND dans l'Humanité du 18 octobre 2008

(1) Coauteur, avec Philippe Meirieu, de L’éducation peut-elle être encore au coeur d’un projet de société ? 2008. Éditions de l’Aube, 11,50 euros.

Publié dans France - Education

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