Fichier EDVIGE : Prédictature

Publié le par Jihad WACHILL

Sachez-le. Des hommes tapis dans l’ombre s’intéressent à vous, à ce que vous êtes, à ce que vous faites et même à ce que vous envisagez de faire. Syndicaliste, manifestant, adhérent à un parti politique, à une association, communiste, gauchiste, marxiste, ex-sartrien, derridien, anarcho-syndicaliste, altermondialiste, faucheur volontaire, militant pour le droit au logement, pour les sans-papiers, pour le temps ou la jouissance libre, frondeur, poète de la première heure ou agité de la raison toujours fasciné par Foucault ou Bourdieu, Edvige veut tout savoir de vous. Et si vous êtes homosexuel, bi ou transgenre, que vous exposez une maladie de peau ou une pigmentation douteuse, que vous vivez dans un quartier populaire, l’amie qui vous veut du bien s’occupera bientôt de votre pedigree et vous protégera de tout - à commencer de vous-mêmes, bien sûr…

Bienvenue en France ! Les policiers atteints de tendances sécuritaires chroniques l’avaient rêvé, Sarkozy l’a fait. Depuis le décret publié début juillet au Journal officiel, le pays de Voltaire et d’Hugo a paraphé l’acte de naissance du fichier au prénom féminin destiné à collecter des informations sur toute personne physique ou morale, dès l’âge de treize ans « susceptible de porter atteinte à l’ordre public ». Dans le cadre de la disparition des RG et de la création de la nouvelle direction centrale du renseignement intérieur, le gouvernement entend - c’est la version officielle - adapter les moyens aux évolutions technologiques. Edvige serait « l’outil » indispensable pour garantir la sécurité des citoyens… Pardi !

La vérité est ailleurs. Non seulement nous ne pouvons séparer le nouveau-né des autres formes de fichage (ADN, etc.), mais par respect des principes républicains et au nom, par exemple, de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État a l’obligation de protéger la vie privée des individus. Or, comme en témoignent les 110 000 signatures recueillies par une pétition électronique pour dénoncer Edvige, chacun a bien compris que cette nouvelle base de données mettait en péril quelques-unes des libertés fondamentales, en nous faisant entrer de plain-pied dans l’horreur d’une société de la suspicion généralisée. Big Brother. Rétention de sûreté. Ciblage systématique. Soupçons préventifs…

Le sarkozysme est pervers. Notamment dans la mise en place méthodique et en apparence apaisée de cette petite barbarie policière, qui, de-ci, de-là, dans l’effrayante pédagogie de la banalité quotidienne, étale sa voracité en toute quiétude idéologique. Ce fichier, en effet, sonne le signal d’un des dangers les plus importants de notre temps, danger qui ne ressemble plus aux totalitarismes du XXe siècle, certes, mais à la promotion d’une prédictature bien-pensante initiée par quelques pouvoirs dominants.

Sourde et glacée, la voix de notre intimité résonne au fond de nous. Si nos traces visibles d’exténuation sont nombreuses, tel un masque livide, l’acte collectif de révolte et de désobéissance reste plus que jamais une nécessité absolue face à cet hyperfichier ultrasécuritaire. Les rebelles en peau de lapin feraient bien de se réveiller avant qu’il ne soit trop tard. Il est impossible aujourd’hui de ne pas dénoncer le pire dans un pays qui, chaque jour, s’y enfonce un peu plus.

L'éditorial de l'Humanité du 8 septembre 2008 par Jean-Emmanuel DUCOIN

Publié dans France - Société

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
On estime que jusqu'à 20% de la population pourrait se retrouvée fichée dans cette base de données...
Répondre