Le consensus à l’égard de Wall Street se lézarde aux États-Unis

Publié le par Jihad WACHILL

Le vote surprise contre le plan Paulson traduit la montée de la colère des citoyens contribuables, eux-mêmes pris au piège du surendettement.

Le rejet par le Congrès du plan Paulson, dit de sauvetage du système bancaire des États-Unis, a eu l’effet d’une bombe, faisant plonger immédiatement Wall Street et accentuant toutes les inquiétudes sur l’ampleur du krach, d’un bout à l’autre de la planète financière. Tout avait pourtant été soigneusement préparé : tout le monde, des états-majors des deux grands partis aux candidats à la présidentielle, Barack Obama et John McCain, s’était mis d’accord, moyennant quelques amendements au texte initial présenté par l’équipe de George W. Bush. Les quelque 700 milliards de dollars d’argent public destinés au renflouement des banques devaient être utilisés par étapes et plusieurs clauses étaient censées « garantir la protection des intérêts du contribuable ».

Les auteurs du plan pensaient que ces précautions seraient suffisantes pour rassurer une opinion dont ils sentaient bien monter le mécontentement. Ce qu’ils n’avaient pas prévu, c’est que la colère se transforme en véritable révolte contre Wall Street, un phénomène inédit dans l’histoire des États-Unis. La Chambre des représentants a rejeté le texte par 228 voix contre 205. Dans les heures précédant ce coup de théâtre, des dizaines de milliers d’électeurs s’étaient adressé à leurs élus, les harcelant de mails et de coups de téléphone pour s’opposer au plan Paulson. Craignant pour leur réélection le 4 novembre et ne sachant plus que faire pour se démarquer d’une administration Bush à qui colle la responsabilité de la débâcle, deux tiers des représentants républicains ont voté contre le texte. La plupart d’entre eux ont dénoncé les financiers (Wall Street) responsables des maux de l’homme de la rue (main street), jouant une carte ouvertement populiste alors que quelques irréductibles continuaient à faire valoir le dogme de la non-intervention sur le marché. Quatre-vingt-quinze élus démocrates, issus, eux, pour la plupart de l’aile gauche du parti, ont également voté contre le texte.

L’événement trahit l’ampleur de la fissure qui vient de se faire jour dans le consensus entre le peuple des États-Unis et Wall Street et cela quelle que soit sans doute l’issue maintenant des débats parlementaires. Un retour du plan Paulson, possiblement amendé une nouvelle fois, est prévu pour demain au Congrès. George W. Bush est intervenu de nouveau, hier, pour mettre la pression maximum sur les élus, déclarant que les dommages pour l’économie américaine seraient « douloureux et durables » si le Congrès persistait dans son refus. Il a assuré urbi et orbi « aux citoyens des États-Unis et du reste de la planète » - mais s’adressant, en fait, aux marchés en perdition - que ce n’était « pas la fin du processus législatif ».

La manoeuvre est complexe. Car dans chaque famille américaine il existe désormais au moins une victime de la crise, une personne qui a souscrit un emprunt, gagé son logement ou son patrimoine mobilier (ses titres en Bourse) qu’elle est obligée désormais, compte tenu de l’éclatement de la bulle immobilière ou de la dégringolade boursière, de rembourser au prix fort quand ses biens n’ont pas déjà été saisis. Sans parler de ces centaines de milliers de retraités qui viennent de voir partir en fumée une part de leurs pensions placées auprès de fonds en grandes difficultés.

La réaction du peuple constitue ainsi une sorte de boomerang qui revient à la figure des financiers. Car ceux-là avaient pesé de tout leur poids sur les salaires (bloqués ces dernières années, selon les statistiques officielles) pour améliorer les rendements des actions. Et ils avaient encouragé, dans le même mouvement, les particuliers à s’endetter massivement pour compenser ce défaut de pouvoir d’achat et accéder à un meilleur niveau de vie. Seulement la mécanique ne fonctionne que si les prix des logements ou les cours de la Bourse grimpent.

Le château de carte fondé sur la spéculation s’est écroulé et le citoyen moyen dont les revenus n’ont pas augmenté devrait doublement se serrer la ceinture : pour payer des traites plus élevées et pour renflouer, via ses impôts, les banques en difficulté. On comprend le coup colère et la défiance croissante à l’égard de Wall Street.

Bruno ODENT dans l'Humanité du 1er octobre 2008

Publié dans Amérique du Nord

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