Quand les entreprises camouflent les risques professionnels

Publié le par Jihad WACHILL

Santé au travail : Le rapport DIRICQ alerte sur l’augmentation du nombre d’accidents du travail et de maladies professionnelles non déclarés.

Pas de remise officielle avec petits fours, pas de conférence de presse : c’est en catimini que le dernier rapport sur la sous-déclaration des accidents du travail et maladies professionnelles a été remis, début août, au gouvernement, malgré un contenu très édifiant. La commission présidée par Noël Diricq, conseiller à la Cour des comptes, a en effet revu nettement à la hausse son estimation du phénomène de sous-déclaration des risques professionnels.

L’enjeu est à la fois financier et politique : du fait de cette sous-déclaration, le coût des soins liés à ces accidents et maladies pèse sur la branche maladie de la Sécurité sociale, financée par des cotisations salariales et patronales, au lieu d’être pris en charge par la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), financée par des cotisations exclusivement patronales.

Economies sur le dos de la collectivité

Autrement dit, la sous-déclaration permet au patronat de faire des économies sur le dos de la collectivité, et creuse encore le déficit de la Sécurité sociale. Pour les salariés victimes, les conséquences sont importantes, car la déclaration en AT-MP ouvre droit à une meilleure prise en charge et à une indemnisation.

En 1996, le gouvernement a pris acte du phénomène en décidant, malgré l’opposition farouche du patronat, d’imposer chaque année à la branche AT-MP un transfert financier vers la branche maladie, pour compenser les coûts imputés à tort à cette dernière. Depuis, une commission évalue tous les trois ans l’ampleur du phénomène et le montant du transfert. Sur les causes du phénomène, le constat est resté le même au fil des rapports (voir ci-dessous). En revanche, les estimations quantitatives n’ont cessé de gonfler, à mesure que les connaissances et la volonté politique se précisaient. En 1997 et 1999, la commission préconise un transfert de 135 millions d’euros. En 2002, la fourchette va de 368 à 550 millions, puis, en 2005, de 355 à 750 millions d’euros. Le rapport qui vient d’être remis place la barre encore plus haut : entre 564 millions et 1,02 milliard d’euros, dont 85 millions d’euros au titre des accidents du travail, le reste pour les maladies professionnelles.

Estimations minimales

Même réévaluée, cette estimation reflète encore une partie seulement de la réalité. Du fait, d’abord, de la pauvreté des données sur les pathologies du travail - soulignée par le rapport -, mais aussi du parti pris des auteurs, qui retiennent à plusieurs reprises les estimations basses, par « prudence ». Ainsi, sept pathologies seulement sont étudiées pour estimer la sous-déclaration de l’ensemble des maladies professionnelles (voir ci-dessous). Pour le « gros morceau » des cancers, les auteurs ont préféré retenir le taux de 6 % maximum de cas imputables au travail, alors qu’une étude de l’Institut national de veille sanitaire avait fixé cette barre à 10 %. Malgré cette minimi- sation, le surcoût des cancers professionnels pour la branche maladie est énorme : entre 232 à 607 millions d’euros par an. Pour les accidents, les estimations de la sous-déclaration s’élèvent à 38 000 accidents avec arrêt de travail par an (5 %) et 340 000 accidents sans arrêt (44 %), un chiffre impressionnant que les auteurs ont mis de côté en attendant le résultat d’études plus poussées.

Le gouvernement a tenu compte de ces travaux puisqu’il a annoncé, fin juillet, que le transfert de la branche AT-MP vers la branche maladie passerait de 410 à 710 millions d’euros à partir de 2009. La compensation financière fonctionne donc, mais quid de la lutte contre la sous-déclaration, qui pénalise en premier lieu les salariés ? La commission Diricq constate que les préconisations du précédent rapport n’ont guère été suivies d’effet, et réitère son appel à une meilleure information des victimes et formation du corps médical. Mais rien n’est prévu contre les pressions des employeurs.

Fanny DOUMAYROU dans l'Humanité du 26 août 2008
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