CMU : « Stigmatiser une population, cela s’appelle de la discrimination »

Publié le par Jihad WACHILL

Le docteur Philippe FOUCRAS est membre du Collectif des médecins généralistes pour l’accès aux soins (Comegas). Entretien.

Une circulaire de la Sécu préconise des mesures discriminatoires à l’encontre des bénéficiaires de la CMU, pour mettre fin aux discriminations qu’ils subissent. On nage en plein paradoxe ?

Philippe Foucras. Pour répondre aux demandes de certains médecins qui se plaignent de comportements abusifs de la part de patients affiliés à la CMU, on en arrive à stigmatiser les plus démunis. Alors que le but de la CMU, c’est justement de faire rentrer l’ensemble des usagers dans le droit commun. Avec cette directive, on se trouve face à une réponse de la Sécu aux prétextes exprimés par des professionnels qui soignent différemment les gens en CMU des autres assurés sociaux. Rien à ce jour ne permet en effet d’affirmer que ces comportements seraient plus fréquents chez les bénéficiaires de la CMU que dans le reste de la population. Stigmatiser une population sans apporter de preuve, cela s’appelle de la discrimination…

Il y a deux ans, le Comegas avait déjà saisi la Halde (1) sur cette question. Rien n’a évolué depuis ?

Philippe Foucras. Il n’y a pas eu de nouvelles études sur ce sujet depuis 2006. Mais la directive en question procède directement des recommandations de la Halde (1). Sauf que pour ménager la chèvre et le chou, la Sécu a pris en compte les recommandations de la Halde ainsi que les récriminations de ces médecins, pour en arriver à un texte inacceptable.

Les refus de soins ne s’expliquent-t-ils pas aussi par la méconnaissance des professionnels de santé de la situation des personnes précaires ?

Philippe Foucras. Être en CMU, cela signifie généralement que l’on est en difficulté financière. À cela s’ajoutent d’autres difficultés, qui complexifient l’accès aux soins des populations les plus désocialisées. Exemple : soigner un diabétique n’a rien de compliqué. Mais s’il est SDF, cela change la donne. Le problème, c’est que les médecins ont une mauvaise connaissance des réalités de vie des populations les plus fragiles. C’est pourquoi il faudrait que la formation à la prise en charge des populations précarisées soit inscrite dans le cursus des futurs médecins et dans les thèmes de formation continue.

La question du refus de soins est aussi liée aux conditions d’exercice ?

Philippe Foucras. En effet, le paiement à l’acte notamment peut, aux yeux de certains, justifier cette pratique ; car on est payé au même tarif, que la consultation dure quinze minutes ou une heure, ce qui peut être le cas pour les patients en grande précarité. Mais c’est aussi une question de choix politique. Comme pour les franchises médicales, les autorités ont tendance à régler les problèmes en s’attaquant aux personnes malades, sans prendre en compte ces réalités.

(1) Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité.

Entretien réalisé par Alexandra CHAIGNON et paru dans l'Humanité du 8 août 2008
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